Le double visage d'une monnaie forte
Contre toute attente, l'euro s'est apprécié d'environ 10% depuis début mars. Cette situation, paradoxale après l'annonce de droits de douane par Donald Trump, révèle les complexités d'une devise forte dans une économie mondialisée.
La monnaie unique européenne connaît une envolée spectaculaire en 2025.
Contre toute attente, l'euro s'est apprécié d'environ 10% depuis le début de l'année.
Cette situation, paradoxale après l'annonce de droits de douane par Donald Trump, révèle les complexités d'une devise forte dans une économie mondialisée.
Quels sont les gagnants et les perdants de cette appréciation ? On vous l'explique dans votre allongé du jour.

💶 Un maudit euro pour les exportateurs
Pour l'économie européenne, largement tournée vers l'exportation, cette hausse représente un véritable défi. "Une croissance plus faible combinée à un euro plus fort représente un double coup dur pour l'Europe", alerte Emmanuel Cau de Barclays (via Zone Bourse 🔗). Historiquement, une appréciation soutenue de 10% de l'euro rogne entre 2% et 3% des bénéfices des entreprises européennes.
Les premiers effets se font déjà sentir. Selon Goldman Sachs, les entreprises du STOXX 600 réalisent 60% de leur chiffre d'affaires à l'étranger, dont près de la moitié aux États-Unis. Cette exposition les rend particulièrement vulnérables aux fluctuations monétaires.
Des poids lourds européens tirent déjà la sonnette d'alarme :
- Unilever a vu son chiffre d'affaires du premier trimestre reculer, l'effet de change venant compenser partiellement la progression des ventes
- SAP estime que chaque hausse d'un centime de l'euro pourrait faire fondre son chiffre d'affaires annuel d'environ 30 millions d'euros
- L'Oréal pourrait voir ses ventes nettes réduites de près de 3% si l'euro se maintient à 1,15 USD
"Nous sommes un continent tourné vers l'exportation ; cela signifie qu'au final, la demande sera plus faible", résume Marieke Blom, cheffe économiste chez ING.
🦔 Une couverture de change délicate
Face à cette situation, la protection contre les fluctuations monétaires devient plus incertaine. Selon Jackie Bowie de Chatham Financial, la couverture de change a progressé cette année, mais tend à ralentir récemment. De nombreuses entreprises craignent d'ancrer des taux encore plus défavorables compte tenu de la rapidité de la chute du dollar.
La stratégie de "vente de volatilité" - qui permet de percevoir des paiements lorsque les variations de devises restent contenues - a quasiment disparu ces dernières semaines en raison de la volatilité extrême des marchés.
🤑 Des avantages pour les consommateurs
Cette médaille a cependant son revers positif. La vigueur de l'euro permet aux consommateurs européens de bénéficier de prix d'importations plus bas, particulièrement pour l'énergie. Dans un contexte de normalisation de l'inflation, cet effet contribue à restaurer progressivement le pouvoir d'achat des ménages.
Un euro fort aide également la BCE dans sa lutte contre l'inflation en réduisant le coût des biens importés. Les dernières projections macroéconomiques de la BCE (mars 2025) anticipent une inflation qui devrait se stabiliser autour de 2% en 2026-2027, en partie grâce à cette appréciation de l'euro.

📊 Perspectives économiques contrastées
Les conséquences macroéconomiques sont préoccupantes.
L'Allemagne, première puissance économique du continent, pourrait connaître "une légère récession" en 2025, a prévenu Joachim Nagel, président de la Bundesbank. Le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l'ensemble de la zone euro.
Certains établissements financiers anticipent une poursuite de l'appréciation de l'euro, avec un seuil de 1,20 USD en ligne de mire. Une perspective qui accentuerait encore les difficultés des exportateurs européens.
🇪🇺 Un défi structurel pour l'Europe
L'euro fort met en lumière les défis structurels de compétitivité auxquels l'Europe fait face. Face à la concurrence chinoise, aux coûts élevés de l'énergie et aux difficultés dans certains secteurs de haute technologie, les entreprises européennes peinent à maintenir leurs parts de marché à l'exportation.
Les données de la BCE montrent que l'euro zone subit des pertes persistantes de parts de marché à l'exportation depuis 2021, une tendance que l'appréciation de la monnaie ne fait qu'aggraver.

La force actuelle de l'euro, bien qu'avantageuse pour les consommateurs et la stabilité des prix, constitue ainsi un véritable test pour la résilience du modèle économique européen, largement fondé sur ses exportations.
